Sur les hauts plateaux ruraux du nord-est de la Macédoine, à la frontière avec la Bulgarie, les travailleurs entament les dernières étapes de la construction d'une route à grande vitesse d'une importance stratégique reliant Skopje à Sofia.
Cette route fait partie du "Corridor 8", un axe qui doit relier la côte adriatique de l'Italie à l'Albanie, puis traverser le nord de la Macédoine jusqu'au port de Varna, sur la côte bulgare de la mer Noire. Une connexion ferroviaire le long du même corridor est également en cours de réalisation.
Une fois achevé, cet axe ancrera l'Albanie et la Macédoine du Nord dans le réseau européen de transport et de commerce, leur ouvrant la voie vers l'Union européenne tout en fournissant à l'OTAN un corridor militaire stratégique.
Mais le projet ferroviaire et routier a été semé d'embûches, de retards et de litiges, tout comme la candidature de la Macédoine du Nord à l'Union européenne.
Des tensions croissantes entre la Macédoine du Nord et la Bulgarie
Le Premier ministre populiste du pays, Hristijan Mickoski, accuse la Bulgarie de ne pas s'engager à faire passer la voie ferrée sur son territoire, affirmant que le chemin de fer aboutirait à un "cul-de-sac" à la frontière bulgare.
Il a menacé de détourner les fonds de l'UE consacrés au projet vers un autre itinéraire connu sous le nom de Corridor 10, qui relierait Skopje à Belgrade et Budapest au nord.
Les relations tendues entre Skopje et Sofia traversent une nouvelle crise depuis que le parti de droite VMRO-DPMNE a remporté les élections législatives et présidentielles en Macédoine du Nord en mai dernier.
Un différend de longue date avec la Grèce sur le nom de la Macédoine du Nord a également refait surface, les nationalistes de Skopje désignant officieusement le pays sous le nom de "Macédoine", ce que les autorités d'Athènes considèrent comme une violation flagrante de l'accord de Prespa de 2018.
Ces désaccords ont entraîné un report de l'ouverture des négociations sur l'adhésion de la Macédoine du Nord à l'Union européenne, alors que l'Albanie voisine a reçu le feu vert des ambassadeurs de l'UE.
L'UE mise sur la stratégie "argent contre réformes"
Les fonctionnaires de Bruxelles et de Skopje espèrent toutefois que le nouveau gouvernement nord-macédonien poursuivra son chemin vers l'adhésion.
L'exécutif européen mise sur son nouveau plan de croissance pour les Balkans occidentaux, doté de 6 milliards d'euros, qui verra l'UE réaliser des investissements dans les sept pays candidats des Balkans occidentaux au cours des trois prochaines années, en échange de réformes destinées à rapprocher leurs économies et leurs sociétés des normes européennes.
Les 6 milliards d'euros, qui se composent de 2 milliards d'euros de subventions et de 4 milliards d'euros de prêts concessionnels, seront distribués en fonction du PIB et de la population de chaque pays, mais ne seront disponibles qu'une fois que ces pays auront mis en œuvre des "programmes de réforme" destinés à aligner leurs lois, leurs normes et leurs pratiques sur celles de l'Union européenne.
Une autre caractéristique unique du plan de croissance est que les pays qui n'atteignent pas leurs objectifs de réforme pourraient voir leurs fonds détournés vers d'autres pays des Balkans occidentaux.
Selon des sources de l'UE, ce modèle est conçu pour créer une "concurrence" entre les voisins et encourager des réformes plus rapides.
"Heureusement, le nouveau gouvernement de Macédoine du Nord s'est vraiment engagé dans le processus d'adhésion à l'UE, comme l'avait fait le gouvernement précédent", déclare un diplomate.
"Lorsque le nouveau gouvernement a prêté serment, il n'y a pas eu d'écart majeur par rapport au programme de réformes négocié par le gouvernement précédent", ajoute-t-il. "Mais nous devrons encore attendre pour voir s'ils mettent en œuvre ces réformes".
Accélérer les réformes dans les Balkans
Le modèle "argent contre réformes" fait partie du plan de Bruxelles visant à accélérer les réformes dans un grand nombre de domaines, dont l'État de droit, l'indépendance du système judiciaire et la lutte contre la corruption.
Les programmes de réformes devraient être approuvés dès le mois d'octobre et les premiers paiements de "préfinancement" versés d'ici la fin de l'année.
Tous les pays, à l'exception de la Bosnie-Herzégovine, ont jusqu'à présent soumis leur projet de programme de réforme.
"Si un pays ne respecte pas ses engagements dans le cadre de ses programmes de réforme, l'argent qui lui est alloué pourrait être transféré à un autre pays des Balkans occidentaux, ce qui créerait un élément de concurrence totalement nouveau par rapport aux instruments de financement précédents", explique un fonctionnaire de l'UE.
Une autre source de l'UE ajoute que la lutte contre la corruption est l'un des plus grands défis en Macédoine du Nord et dans d'autres pays candidats de la région, mais que l'exécutif de l'UE disposait de mécanismes solides pour protéger ses financements.
"La corruption est présente. Mais nous avons une politique de tolérance zéro pour la corruption et des cadres très stricts en place", déclare la source, "Si cela se produit, nos mécanismes entrent en jeu".
Les États membres ont un droit de veto
Même si Skopje parvient à atteindre tous ses objectifs et à récolter les fruits du plan de croissance, elle ne pourra progresser sur la voie de l'adhésion à l'UE que si elle continue à améliorer ses relations avec la Bulgarie voisine.
Chaque État membre doit en effet donner son feu vert à l'ouverture de chaque étape du processus d'adhésion à l'UE.
En réponse à l'échec des ambassadeurs de l'UE à faire avancer les négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord, l'ancien Premier ministre bulgare Boyko Borissov - qui dirige le plus grand parti du parlement bulgare et préside sa commission des Affaires étrangères - a déclaré que Skopje devait "faire face aux conséquences de ses actes".
Boyko Borissov a récemment demandé la démission du vice-Premier ministre et du ministre des Transports de Macédoine du Nord à la suite des tensions liées à l'axe Corridor 8 reliant les capitales des pays.
Le 27 octobre, la Bulgarie tiendra ses septièmes élections en seulement trois ans, après avoir échoué à plusieurs reprises à former un gouvernement.