“Pourquoi êtes-vous là si vous n'avez aucune question ?” s'agace Tina Barney. Il est tôt, ce vendredi matin. La photographe américaine déambule dans l'espace consacrée à l'exposition FAMILY TIES, entourée d'une vingtaine de journalistes, timides, impressionnés, ou simplement mal réveillés. Elle préférerait qu'on l'interroge. Ce que d'aucuns osent, à mesure que l'on avance dans l'entre du Jeu de Paume. L'ombre d'un sourire voile son visage. Là voilà contentée. C'est que Tina Barney a des choses à dire. Beaucoup. À 78 ans, l'artiste cumule une impressionnante collection de portraits, qui forment aujourd'hui une fresque d'envergure de la société américaine blanche et bourgeoise. Un univers auquel elle appartient pleinement, mais qu'elle s'est appliquée à capturer avec une mise à distance amusée. C’est en tout cas l’avis de Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume et commissaire de l’exposition. Tina Barney, elle, porte un regard plus personnel et autobiographique sur ses propres travaux, qu’elle assure avoir réalisé sans aucun jugement sur ses différents sujets. La question reste ouverte, donc, et les clichés de la photographe sont à découvrir jusqu’au 19 janvier 2025 au Jeu de Paume.
Tina Barney, l’anti-Ralph Lauren
L’un des points forts de l’exposition FAMILY TIES se niche dans ces cartels, soigneusement sélectionnés par Quentin Bajac. Fruits d’un important travail de recherche, ils sont issus d'articles de presse parus sur Tina Barney. Des critiques, donc, mais des interviews également, permettant de mettre en lumière la parole de la photographe sur son propre travail. Les critiques soulignent quant à elle la réception de ses clichés dans les années 1980 et 1990, en pleine révolution libérale aux États-Unis, sous la présidence de Ronald Reagan. L’ère est celle des photographies prises par Bruce Weber pour Ralph Lauren , qui offre une certaine représentation des WASP (White Anglo-Saxon Protestants), ces Américains blancs protestants d'origine britannique, issus de la culture blanche dominante. Comprendre : l’élite. Tina Barney n’est pas étrangère à ce milieu : elle en fait même pleinement partie. Mais selon les critiques de l’époque, elle est une anti-Ralph Lauren, par le déséquilibre qu’elle introduit dans son regard. Ses sujets sont les mêmes, mais la mise à distance qu’elle induit rend ses photographies uniques.